1Le port de Rochefort n’inaugure pas ce répertoire pour sa contribution au trafic négrier français. Avec un total de vingt-quatre expéditions dont dix-neuf de 1780 à 1793, Rochefort occupe de ce point de vue une position très marginale, néanmoins paradoxale. En effet, Rochefort au xviiie siècle fut la base navale chargée d’approvisionner les possessions coloniales, ainsi que le premier port-arsenal négrier du royaume, avant Brest, Toulon, et Cherbourg [1]. (Lorient, cet autre grand port militaire, constituant un cas à part, avec une intense activité négrière, mais très longtemps liée à la Compagnie des Indes.) Il existe cependant une spécificité méconnue de la traite rochefortaise, c’est l’entente entre des intérêts particuliers et la Marine de l’État, celle-ci ayant affrété à plusieurs reprises ses navires à des négociants négriers contre services rendus [2]. Cela n’entre qu’incidemment dans notre propos…
2Le brick-aviso L’Impatient, dont la notice suit, a certes sa place dans ces rapports entre la Marine d’État et la traite, sauf que, ni affrété, ni négrier, il s’agit d’un navire de guerre chargé de remplir une mission de reconnaissance des côtes d’Afrique et d’appui au commerce et à la traite française. La liberté de navigation et le rétablissem*nt de l’esclavage acquis, on pouvait de nouveau considérer l’Afrique comme une destination avec laquelle reprendre ses habitudes. Le contre-amiral Decrès, ministre de la Marine et des Colonies depuis le 11 vendémiaire an X (03-10-1801), est à l’initiative de cette mission. Dans l’entourage de Bonaparte, il est l’un de ceux qui déplorait les «désastreux» effets de la loi du 16 pluviôse an II et en désirait ardemment la fin. Supprimer cette loi, signifiait, en corollaire, réactiver la traite des Noirs, réalimenter les colonies en main d’œuvre servile et enrichir l’économie nationale. Il lui fallait d’abord se mettre dans les pas de ses nombreux prédécesseurs au département de la Marine de 1783 à 1792. Durant cette période la France avait en effet expédié aux côtes occidentales d’Afrique pas moins de vingt-sept bâtiments de guerre chargés d’y favoriser et de renforcer sa présence territoriale et son commerce colonial. On retient notamment les frégates Flore, Cérès et Félicité, de Rochefort, ayant navigué de 1787 à 1790 du Sénégal au golfe de Guinée [3]. On devait retrouver ce bel élan brisé par les guerres de la Révolution et l’abolition de l’esclavage, faire respecter le pavillon national, protéger les navires marchands de nouveau autorisés à traiter des captifs, et toutes les productions locales, gomme, or, ivoire, bois, cuirs, cire, riz, miel, etc., visiter les établissem*nts français, forts ou comptoirs, en probable déshérence, reconnaître les lieux où on pourrait en implanter de nouveaux pour contrebalancer la forte présence des Anglais, Portugais, Hollandais, Danois, renouer après des années d’absence où s’était engouffrée la concurrence, avec les chefs de villages et les rois africains, pour retisser avec eux les liens commerciaux.
3En thermidor an XI (mi-août 1802), Decrès pensa charger la corvette La Pélagie de cette mission de reconnaissance des côtes d’Afrique, du Sénégal au cap Formosa, à l’ouest du delta du Niger. Ce navire, sous les ordres de Decrès au temps de son activité sur mer, se trouvait depuis 1800 sous ceux du lieutenant de vaisseau Guy-Victor Duperré, futur amiral et ministre de la Marine de Louis-Philippe. Au cours d’une de ses missions de protection des convois côtiers entre Brest et Nantes, La Pélagie subit en nivôse an X du très mauvais temps qui lui causa des avaries et l’obligea à relâcher le 25 nivôse an X (15-01-1802) en rade de l’île d’Aix. Sept mois plus tard, elle y mouillait toujours dans l’attente d’une destination. Decrès se décida pour l’Afrique. Le 30 thermidor (18-08), il fit remettre une lettre de crédit sur Cadix de 150 000 F en piastres fortes à Duperré pour les remettre au Trésor public du Sénégal. Mais le 3 fructidor (21-08), le vice-amiral Martin, préfet du 5e arrondissem*nt maritime à Rochefort, déconseilla le choix de La Pélagie, «petit bâtiment sans capacité et sans qualités» dont la marche aux dires mêmes de ses officiers était «au-dessous du médiocre». Il ajouta le 20 vendémiaire an XI (12-10) qu’il fallait le désarmer, n’étant «pas propre à grand-chose», mais le 8 fructidor (26-08) Decrès avait déjà prévenu le préfet qu’il remplaçait La Pélagie par la corvette L’Impatient.
4Ce brick-aviso rentrait d’une mission qui l’avait conduit de Lorient à Cayenne via Cadix pour y déporter douze individus précédemment rapatriés en métropole de la Guadeloupe pour une conduite qualifiée de subversive par le nouveau pouvoir consulaire. Construit à Saint-Malo quatorze ans plus tôt L’Impatient était un autre bâtiment fatigué, mais davantage capable que La Pélagie de réaliser ce qu’on attendait de lui. En provenance de Lorient, L’Impatient mouilla dans la rade de l’île d’Aix le 22 fructidor au matin (09-09). Son commandant, le LV Arnous, un Lorientais qui avait plusieurs fois doublé le cap de Bonne-Espérance sur des navires de la nouvelle Compagnie des Indes, connaissait les côtes d’Afrique.
5On va voir qu’Arnous suivit ses instructions à la lettre et remplit parfaitement sa mission, mais alors qu’il rentrait du Sénégal à Rochefort, le 29-05-1803, une frégate anglaise s’empara de L’Impatient dans la baie de Biscaye et le conduisit à Plymouth.
6Prisonnier à Lichfield (Staffordshire), le 01-01-1804, Arnous réussit à faire parvenir au ministre un Rapport ou précis historique et politique du voyage fait à la côte d’Afrique dans les sept premiers mois de l’an XI. Libéré sur parole le 9 mars 1811 après huit années en Angleterre, c’est de Lorient que, le 30 mai, il adressa au ministre un second rapport plus complet [4].
7Bâtiment de guerre; brick-aviso d’une série de six unités, type Expédition, dit aussi brick-corvette, construit premier semestre 1788 à Saint-Malo Montmarin par Benjamin Dubois sur plans de Pierre-Alexandre-Laurent Forfait, pour un coût de construction de 86 000 L.t.; mis en service 05-1788, dimensions: 140 t, 27 x 8,4 x 3,9m, doublé en cuivre, 14 canons; 20 canons, selon les sources britanniques; «she is a very fine vessel, and is esteemed one of the swiftest sailers out of France», écrit James Wallis (Royal Navy), le 2 juin 1803.
8Armé à Lorient le 12 fructidor an X (30-08-1802), il mouille en rade de l’île d’Aix le matin du 22 fructidor (09-09).
9Sur ordre du contre-amiral Denis Decrès, ministre de la Marine et des Colonies, de Rochefort au Sénégal, L’Impatient doit d’abord:
10
- faire escale à Cadix pour y prendre des fonds destinés à l’agent du Trésor public à Saint-Louis (Sénégal);
- transporter le chef de brigade Blanchot de Verly, qui avait occupé le poste avant la Révolution, pour redevenir «commandant et administrateur général du Sénégal et dépendances», pour remplacer le chef de brigade Laserre, qui lui-même avait remplacé un Blanchot mis d’abord à la retraite, mais que les habitants et des capitaines du commerce venaient d’expulser de Saint-Louis (Sénégal) pour un comportement jugé tyrannique et arbitraire, comme exposé dans la notice sur la colonie qui suit;
- participer à la restitution de l’île de Gorée par les Anglais, si, sur place, Blanchot jugeait cette opération possible;
- puis, du Sénégal au cap Formosa (Nigéria actuel) dans le golfe intérieur de Guinée, L’Impatient doit…
11mener une mission de surveillance, de reconnaissance des côtes d’Afrique jusqu’au golfe du Bénin, de visite des forts et comptoirs français, et de prise de contact avec les souverains locaux: «pour faciliter ses communications dans la mission dont vous l’avez chargé», écrit de Rochefort, le préfet maritime, au ministre le 5 complém. an X (22-09-1802), celui-ci fait charger le brick «d’objets de traite fournis par le magasin des colonies et celui de la Marine de ce port», et selon un courrier précédent du 23 fructidor (10-09) du vin de Bordeaux et une grande quantité d’eau-de-vie, à la fois pour la consommation des marins et pour en offrir aux partenaires africains [5].
12Dans sa lettre du 3 fructidor an X (21-08-1802) au nouveau commandant et administrateur du Sénégal, Decrès avait tenu à préciser les lieux à visiter: «Cette corvette ira parcourir les côtes d’Afrique et vérifier particulièrement dans quel état se trouvent les comptoirs d’Amokou, de Juda, d’Ardres, de Porto Nove [Port-Novo, Bénin] et de Formose [6].»
13Pour l’aider dans sa mission, deux navires devaient escorter L’Impatient: le 14 fructidor an X (01-09-1802) la goélette La Légère, commandée par le LV Collinet, arriva en rade de l’île d’Aix «dans une situation déplorable» selon le préfet maritime qui prévint Decrès qu’il la faisait remonter en rivière pour la réparer, calfater, peindre, lui fournir des cordages et diverses pièces de rechange; après quoi, le préfet annonça au ministre qu’il allait l’expédier du 6 au 10 vend. an XI (28-09 au 02-10-1802), mais La Légère n’alla jamais au Sénégal; en revanche la chaloupe-canonnière L’Ardente, s’y rendit.
14Revue de l’équipage passée le 29 fructidor an X (16-09-1802) en rade du Port-des-Barques, sur la rive gauche de l’embouchure de la Charente; il a été payé deux mois d’avances à l’équipage, qui comprend 64 hommes, très majoritairement du quartier de Lorient, soit: six de l’État-major, un lieutenant et trois enseignes de vaisseau, un agent comptable, un officier de santé; trois aspirants; quatre officiers mariniers de manœuvre et trois autres de canonnage; un pilote côtier; un second maître charpentier, et un autre calfateur; un aide voilier; cinq timoniers; dix-neuf matelots; douze novices; huit mousses. Auxquels s’ajoutent: six soldats d’une brigade d’artillerie de marine; quatre surnuméraires; deux garçons de confiance, soit au total soixante-seize personnes.
15Commandant LV Joseph-Hippolyte Arnous dit Arnous Dessaulsays, 33 ans, franc-maçon de la loge L’Union de Lorient en 1806; 04-1786 à 10-1791, 54 mois au service de la nouvelle Cie des Indes, enseigne Maréchal-de-Castries, Madagascar, côtes de Coromandel et Malabar, mer Rouge, puis Maréchal-de-Duras, océan Indien jusqu’au Bengale; guerres Rév.: EV entretenu 06-04-1793, LV3e cl. 13-11-1793, LV2e cl. 01-01-1795, LV 21-03-1796; commandant la corvette L’Impatient 15-03-1801, mission d’amener douze déportés de Lorient à Cayenne via Cadix…
16
- ° 13-08-1769 b 14 Lorient (Morb.) p Nicolas Arnous, dit Arnous Dessaulsays °Nantes Ste-Croix 13-08-1730 + Lorient 16-03-1794, constructeur de navire au chantier du Blanc, arm., affréteur général 1785-1789 des navires exploitant le commerce de la nouvelle Compagnie des Indes [7] m Jeanne-Louise Granière °Port-Louis (Morb.) 09-02-1747 + Auray 19-05-1821 m. Port-Louis 29-11-1763; filleul de Mandé Pierre Le Beau, et de Renée-Thérèse Tourtat de Boisbrun, qui signent;
Frère de René Arnous-Dessaulsays (1778-1852), CV, successeur en 1830 de Villaret-Joyeuse commandant la croisière française de répression de la traite des Noirs, CA et Gouv. de la Guadeloupe 1831, VA 1841 [8]… - + 28-08-1833 Toulon (Var), rue Royale n° 26;
- x 27 fructidor an VI (13-09-1798) Lorient avec Sophie de Palsy °Lorient 13-12-1776 + Toulon 21-02-1831, fa de Jean-Henry, négoc. + 25-06-1797 m Marie-Restitue Cardonne °Lorient 09-01-1756 + id. 22-04-180 fa d’Artus Dominique (1724-1820), contrôleur de la Compagnie des Indes m. Lorient 30-01-1776; d’où une fille née et + en 1801.
17Second EV Jean-Baptiste-Pierre Dufour, 36 ans, chargé par Arnous de prendre les sondes et de lever les plans sur la côte d’Afrique, de la rivière de Gambie à la rade de Juda; résidant à Barfleur, timonier 1790, ENE 1794, EV 1796, plusieurs fois blessé au cours de dix combats, sièges ou batailles des guerres de la Rév., déjà second d’Arnous sur L’Impatient, de Lorient à Cayenne en 1801-1802…
18
- ° 12-08-1766 Montfarville (Manche) p Pierre-François, forgeron ° Montfarville 06-07-1737 + Barfleur 08-12-1811 m Marie Guérard ° Montfarville 17-01-1747 + Barfleur 11-01-1824 m. c. déc.1764.
- + 02-02-1843 Lorient, rue du Port n° 26, pension de retraite de LV;
- x 4 pluviôse an II (23-01-1794) Lorient avec Marie-Louise Pasco °Lorient 1776, p Louis °Baud (Morb.) 21-01-1738 + Lorient 23-11-1806, cordier, vf de Marie-Jeanne Le Mur x prem. noces Auray 21-07-1767, vf sec. noces de Marie-Josèphe Rebour, vf trois. noces de Guillemette Hurvois x Lorient 02-02-1794 m Marie-Josèphe Rebour m. secondes noces c. 1776.
19Lieutenant EV Dominique-Marie Montfort, 30 ans, volontaire et novice au cabotage 1784-1791, en course an VI; matelot timonier sur L’Impatient 12-1791 à 07-1793, puis EV sur le même bâtiment à partir du 12 fructidor an X…
20
- ° 01-02-1772 Île-Tudy, psse de Combrit (Fin.) b 02-02, en l’église trêviale Saint-Tudy p HH Alain Montfort (Île-Tudy 1738-Loctudy 1806), maître de barque m Marie-Josèphe Cozic/Coic (Île-Tudy1735-1773) m. Île-Tudy 27-01-1767;
- + 26-02-1850 Île-Tudy;
- x 20-08-1827 Île-Tudy avec Isabelle-Marie Daniel °Île-Tudy 02-02-1796 + après 1863, ménagère, d’où un fils capitaine de navire.
21Lieutenant EV Jacques-Nicolas Pellerin, 40 ans, marin au commerce 1783-1792 dont un voyage en Angole sur L’Actif du Havre 1784-85, ENE 1794, EVE 1796…
22
- ° 03-03-1762 St-Denis-des-Monts (Eure) p Pierre m Marie-Catherine Prévôt;
- + 15-08-1832 St-Pierre de Manneville (Seine-M.), pensionné de la Marine;
- x 24-04-1787 Sahure (Seine-M.) avec Marie-Madeleine Le Roux °Sahure 11-10-1755 + après 1835 alors demeure à Rouen, pensionnée vve EV 300 F fa de Charles et de Françoise Cousin, de Sahure.
23Appareille de la rade de l’île d’Aix, 4e jour compl. an X (21-09-1802) à six heures du matin, avec six passagers: François-Michel-Émile Blanchot de Verly (1735-1807), «mangeant à la table du capitaine», nommé chef de brigade commandant le Sénégal et ses dépendances par le Premier consul le 25 thermidor an X (13-08-1802); Antoine Allut (1775-1808), son secrétaire, «mangeant à la table de l’État-major», promu commis de 2e cl. au Sénégal, 19 germinal an XI (09-04-1803); quatre domestiques au service de Blanchot: Fourmi [sic], sa femme, et deux enfants.
24Les instructions que Blanchot avait reçues le 29 thermidor an X (17-08-1802) avant de prendre son poste recoupaient une partie de celles que devait suivre le LV Arnous le long de la côte d’Afrique. Saint-Louis était le chef-lieu du Sénégal, mais aussi de ses dépendances, qui méritaient d’être visitées et réexploitées: l’île de Casamance, à l’embouchure de la rivière éponyme, les îles Bissagots, les îles de Los ou des Idoles, le comptoir de Gambie dans la rivière de Sierra Leone, et un terrain situé près du cap Tagrin où la France et le roi de Banan avait passé un traité en 1789. Se reporter à la notice sur Saint-Louis (Sénégal) qui suit.
25Après 18 jours de mer dont la moitié contre des vents violents ayant soufflé d’Est au Sud-Est du cap Saint-Vincent à Cadix, arrivée sur la rade du port espagnol le 16 vend. an XI (08-10-1802); le LV Arnous justifie sa relâche auprès du gouverneur espagnol par la nécessité de réparer certaines pièces abîmées par la tempête, pour ne pas compromettre le gouvernement français en dévoilant l’objet de sa mission, écrira-t-il à Decrès le 16 brumaire (07-11) [9]. Comme convenu, contre la lettre de crédit remise d’abord à Duperré, le lendemain de son arrivée, Arnous reçoit de Mathieu Lesseps, sous-commissaire des relations commerciales du consulat de Cadix, les fonds destinés au Trésor public de Saint-Louis du Sénégal, soit 1 781 onces d’or et 75 piastres gourdes, monnaie d’Espagne, faisant ensemble 28 571 piastres fortes, délivrés par les banquiers du Trésor public à Cadix – dont les correspondants sont les citoyens Rivet et neveu, établis à Cadix et à Marseille [10]. L’Impatient quitte Cadix dès le 17 vend. (09-10).
26Le 5 brumaire an XI au matin (27-10-1802), après 18 j. de mer, L’Impatient mouille devant la barre du Sénégal, et retrouve deux transports de l’État partis de Dunkerque avec 200 h de troupe pour participer à la reprise de possession de Gorée convenue entre l’Angleterre et la France au traité d’Amiens: Le Darth, EV Fayolle, et L’Alerte, LV Lamarre, qui l’avaient respectivement précédé les 6 et 18 vendémiaire (28-09 et 10-10-1802) [11].
27Le 16 brumaire (07-11) Arnous informe Decrès avoir trouvé à son arrivée une colonie «en combustion», à cause, disent ses habitants, «des exactions d’un chef despote et partial» [le commandant Laserre], mais le retour de Blanchot «leur père et leur ami» a ramené le calme et la tranquillité en ralliant tous les partis sur son nom.
28Arnous patienta sur rade plus de trois semaines, du 5 au 28 brumaire (27-10 au 19-11), en exécution des instructions ministérielles qui lui prescrivaient de suivre les dispositions du général Blanchot. Ce dernier comptait sur L’Impatient pour reprendre Gorée, mais le gouverneur anglais, le colonel John Frazer, louvoyait à souhait dans des allers-retours de courriers stériles avec Blanchot, l’EV Montfort, lieutenant sur L’Impatient, jouant le rôle de facteur. Le but inavoué de Frazer était de prolonger le plus possible son occupation de l’île.
29L’inactivité que subissait Arnous n’était pas sans conséquence sur la réussite de sa future mission le long des côtes d’Afrique, son navire sur rade fatiguait et les vivres allaient manquer: la colonie du Sénégal, incapable de lui fournir les vivres que Decrès avait annoncés en vain, Arnous avait pu en prélever sur L’Alerte et Le Darth avant qu’ils ne retournent en France, mais, outre leur très mauvaise qualité, ces vivres ne lui fournissaient des réserves que pour deux mois [12].
30Le 28 brumaire (19-11) Arnous se rendit à terre et n’eut pas à forcer pour plaider sa cause auprès de Blanchot pour que celui-ci lui donne «la clé des champs», l’intérêt de la mission principale qui l’avait fait quitter Rochefort huit semaines plus tôt ne se discutait pas. Blanchot lui remit 1 200 F en numéraires sur le crédit de 3 000 F que Decrès lui avait ouvert sur la Caisse du Sénégal, lui fournissant en complément un assortiment d’objets de traite équivalent à peu-près au montant de la somme: objets destinés selon la feuille d’instruction de Blanchot à faciliter les contacts avec les chefs de villages et les rois africains qu’Arnous allait visiter [13]. Enfin, il lui remit une lettre ouverte pour le colonel Frazer, où il lui demandait de s’entendre avec Arnous, de lui prêter assistance, si besoin était, lors de son séjour prochain à Gorée pour faire de l’eau et du bois [14]. Le 28 brumaire L’Impatient appareilla pour Gorée et le lendemain soir mouillait dans sa rade.
31Le 30 brumaire (21-11) Arnous alla se présenter au gouverneur qui lui dit pourquoi il ne pouvait remettre l’île: «Les convenances prescrites par la dignité des nations civilisées, [le portaient] à attendre l’arrivée d’un bâtiment qu’il avait envoyé chercher à Sierra Leone afin que la garnison put évacuer la place sous le pavillon de sa nation.» C’est la teneur de la lettre que Frazer fit aussi parvenir à Blanchot en date du 1er frimaire (22-11).
32Arnous mit à profit son séjour à Gorée pour visiter l’île et se faire une idée précise de ses ressources, de ses habitants, et de leur commerce lucratif, essentiellement négrier, et de cabotage avec la terre ferme et les rivières avoisinantes.
33Après quatre semaines au Sénégal et à Gorée, Arnous allait commencer sa mission de reconnaissance des côtes africaines, muni des instructions reçues cinq jours plus tôt de Blanchot. Dès l’entame, celui-ci le dispense de visiter les comptoirs situés entre la presqu’île du Cap-Vert et la rivière de Gambie, Rufisque, Portudal, Joal et Saloum, avec lesquels, grâce à l’aval des chefs indigènes, les habitants de Gorée, du Sénégal, et les bâtiments français, «ont des correspondances continuelles, sont toujours ouverts, sans qu’il soit nécessaire d’y entretenir des établissem*nts permanents et d’y faire des visites régulières». Arnous s’informe malgré tout. On lui confirma «que ces prétendus comptoirs étaient fort peu de chose», quatre petit* villages qui ne méritaient pas le titre de comptoirs et dont le commerce se borne «à l’achat de quelques noirs et de provision par les habitants de Gorée». Le 3 frimaire (24-11) Arnous prit un pilote et appareilla pour la rivière de Gambie, qui se jetait au sud de la rivière de Saloum. Des calmes continuels l’obligeant de se faire remorquer par «[ses] bateaux», L’Impatient n’arriva à destination qu’une semaine plus tard.
34Le 10 frimaire (01-12) L’Impatient trouve sur la rive droite de la rivière de Gambie et dès son embouchure le village d’Albréda, dont Pelletan évoque le «prétendu comptoir… sans utilité pour les armements français [15]». Pourtant y mouille dans la rade un navire de 100 tx, La Réunion, du Havre, capitaine Morin, en traite de cuirs et de riz. Blanchot ayant recommandé d’y rencontrer le «Roi de Bar», ainsi qu’il le nommait, Arnous descendit à terre et fit connaître à l’alquier du village les intentions du gouvernement français de reprendre ses liaisons commerciales dans la rivière de Gambie et l’arrivée prochaine du commandant du Sénégal pour y rétablir le comptoir, dont il ne restait plus aucun vestige, put-il constater. Il serait facile et peu dispendieux de lui redonner vie et d’en faire pour les résidents et traitants français, habitués de cette rivière, «un asile sûr et respectable contre les naturels du pays». C’est que la rivière de Gambie, ajoute Arnous, offre de grands avantages: «toutes les marchandises de traite y ont un débouché facile», en échange de l’or, des captifs, – compter 80 piastres pour un individu, – du morphil, des cuirs, de la cire, du riz et du miel. Mais l’implantation des factoreries anglaises est telle en amont d’Albréda que le comptoir français ne «deviendra jamais bien commerçant». La solution serait d’obtenir d’autres concessions le long de la rivière, peut-être moins sur la rive droite peuplée des Mandingues, «hommes doux, peu guerriers, cultivateurs et voleurs comme tous les noirs», que sur la rive gauche, peuplée des «Feloups, hommes assez doux, voleurs comme les autres, plus guerriers et meilleurs cutivateurs», et «où l’on traite avec le plus d’avantage les provisions dont on a besoin». Le 16 frimaire (07-12) L’Impatient mit sous voiles pour quitter la rivière de Gambie, ce qui prit deux jours en raison des vents contraires et des calmes. Le 19 frimaire (10-12), il atteint sa nouvelle destination.
35Le trop grand tirant d’eau empêchant L’Impatient d’y entrer, Arnous expédia le soir même sa chaloupe et l’enseigne de vaisseau Dufour, son second, avec des marchandises pour cadeaux aux différents chefs et l’instruction de prendre quelques renseignements. Dufour revint à bord deux jours après, porteur de nombreuses indications. Cette rivière est seulement fréquentée par les caboteurs de Gorée, et les Portugais qui y ont deux établissem*nts, l’un sur l’île de Zighinchor, à huit lieues de son embouchure, l’autre encore plus en amont: on y traite de «beaux noirs» et les mêmes produits qu’en rivière de Gambie et toutes sortes d’approvisionnements comme bœufs, cochons, cabris, et volailles. Mais, parce qu’avec eux «on place beaucoup d’objets de peu de valeur», il est préférable de traiter avec les naturels, dans deux grands villages situés à deux ou trois lieues de l’embouchure: Gimbérin sur la rive gauche, Itou sur la rive droite, dont les chefs ou alquiers ont témoigné à Dufour leur désir d’y voir se former un établissem*nt français. Dès le 21 frimaire Arnous mit sous voiles pour «les îles de Losses ou des Idoles», dirigeant sa route «à la sonde», pour «tourner l’archipel des Bissagots d’aussi près que possible».
36[Situées au large de la presqu’île de Kaloum qu’occupe depuis Conakry/Guinée, la France aurait depuis Louis XIV des droits inconstestables sur ces îles.]
37Le 24 frimaire (15-12) L’Impatient mouille devant Tamara, la plus grande des îles de Loos. Arnous descend en canot la visiter, enjoignant à Dufour d’aller mouiller devant l’île de la Factorerie, où il le retrouva. Ils ne visitèrent que ces deux îles sur les cinq que comportaient le groupe d’îles, avec l’île Blanche, Crawford et un petit îlot, l’île de Corail. Ces îles, inhabitées, retinrent peu l’attention d’Arnous, qui lui parurent fournir seulement du bois, de l’assez mauvaise eau, et aucun arbre fruitier. Les capitaines de trois navires anglais et américains, alors au mouillage devant l’île de la Factorerie, lui expliquèrent que de là, ils expédiaient leurs embarcations dans les îles voisines pour y traiter. Cela ne convainquit pas Arnous, constatant qu’après six et huit mois de séjour, ces navires négriers n’avaient qu’une demi-cargaison, et beaucoup de marins malades. Le 25 frimaire au matin L’Impatient appareilla pour «la rivière de Serraléona», atteinte quatre jours plus tard.
38[C’était pour Arnous le retour sur le lieu du naufrage qu’il y fit avec le Maréchal-de-Castries, capitaine Bidard, le 17 mai 1788, de retour de l’océan Indien. Et c’était pour la Marine française le retour sur le lieu qu’avait pillé et détruit la division navale du LV Arnaud en septembre et octobre 1794, déclenchant l’ire des Anglais qui avaient commencé à faire de Sierra Leone un lieu d’accueil pour les Noirs affranchis.]
39La rivière n’est navigable pour les grands bâtiments que jusqu’à l’île de Bence, à neuf lieues de son embouchure. Les «nations civilisées» qui la fréquentent sont les Français et les Anglais, à qui elle offre quelques avantages pour la traite des noirs, du morphil, de la cire, et du bois de Campêche, très abondant.
40Arnous se rendit sur l’île de Gambia, siège d’une concession française située à quatre lieues de son embouchure, et à l’entrée d’un affluent éponyme. Les Français l’habitaient lors de sa visite en 1788, alors enseigne sur le Maréchal-de-Duras, de la nouvelle Cie des Indes, mais dans l’île désormais noyée et couverte de mangliers, il n’y a plus personne, plus rien du fort, ni de la caserne, ni des magasins du comptoir. Dufour qui avait reçu l’ordre de pénétrer dans la rivière de Gambia revint informer son commandant avoir trouvé à deux lieues de son embouchure un grand village, Robomba, gouverné par un alquier nommé Paquierandor: lui et beaucoup d’autres noirs qui parlaient français l’accueillirent amicalement l’ayant reconnu pour Français, car nombre d’entre eux s’étaient réfugiés là après avoir fui la côte où les Anglais, notamment de leur établissem*nt de Freetown, faisaient régner la terreur.
41Il serait ainsi facile de rétablir un comptoir sur l’île de Gambia, qui dépend, comme Robomba, du roi Tombanat, mais il serait préférable d’obtenir d’autres concessions dans cette rivière, moins susceptibles d’infecter les résidents par les maladies.
42Ce retour des Français serait un moyen de contrebalancer la forte présence anglaise répartie dans la rivière de Sierra Leone en trois établissem*nts. Le premier sur l’île de Bence [Bunce Island], petite, mais bien située pour le commerce. Le deuxième, plus considérable et fortifié, sur l’île du roi Thom, soit la partie est de la Baie des Blancs [White Man’s Bay] nommée Freetown, fondée et dirigée par une société de philanthropes, en vue d’y abolir la traite et de rendre les chefs moraux et cultivateurs (de café); Arnous s’interroge sur les chances de succès, leurs principes s’opposant directement à l’intérêt et à l’inclination des naturels du pays. Le troisième établissem*nt sur le cap Serra Léona [Cape Sierra Leone] qui forme la pointe sud de l’entrée de la rivière et sert de domicile aux pilotes, serait le terrain à propos duquel le capitaine de vaisseau Villeneuve Sillard avait traité avec le roi Tombanat pour compte du gouvernement français en 1789. Après des considérations peu amènes sur les noirs peuplant les deux rives, les Booloms, rive droite, et les Timenes, rive gauche, Arnous décida de ne pas prolonger son séjour: «il y a si longtemps que les Français ne fréquentaient plus cette côte qu’ils y étaient presque oubliés». Le 8 nivôse (29-12) L’Impatient, s’étant réapprovisionné, poursuivit vers le sud.
43Doublement du cap Lahou, puis d’Apollonia (sans dates), entre lesquels Arnous ne remarqua aucune trace d’habitation. A partir du cap Apollonia où «commencent les établissem*nts européens par le château de ce nom», Arnous longea la côte, reconnut successivement tous les forts et factoreries situés jusqu’au comptoir français d’Amokou, reçut, des chefs d’une grande partie de ces établissem*nts, des pirogues avec invitation de prendre mouillage devant leur fort, prenant probablement, dit-il, son navire pour un négrier.
44L’Impatient croisa au large du château éponyme, mais ne s’y arrêta pas, préférant le mouillage du fort voisin de Cape Coast.
45Arnous mouilla L’Impatient sous le fort éponyme et descendit voir le gouverneur anglais pour s’informer. Entre autres renseignements, il apprit que pour poursuivre sa mission, il lui faudrait faire impérativement l’acquisition d’une grande pirogue pour franchir la barre, mais ce qu’il repoussa à son arrivée au comptoir d’Amokou en raison du coût qui dépassait ses ressources. Il apprit aussi comment les Anglais, les seuls à exploiter ce commerce entre le cap Laho et le cap Saint-Paul, y effectuaient avec habileté leur traite des captifs.
46L’établissem*nt de Cape Coast, le plus considérable, le plus fortifié que les Anglais aient sur la Côte d’Or, s’exclame Arnous, serait comme un chef-lieu dont les autres forts relèveraient. Avec le gouverneur, deux conseillers, un chirurgien et plusieurs jeunes gens européens l’occupent, plus un officier de troupe à la tête d’une garnison d’une centaine d’hommes composée de noirs qu’Arnous croit esclaves. Arnous quitte la rade de Cape Coast le 28 nivôse au matin (18-01-1803) et fait route pour le comptoir français d’Amokou atteint le même jour après midi, treize ans après le dernier passage d’une frégate du roi.
47[Selon Pierre Labarthe qui l’avait visité en 1788, du cap Tagrin (Sierra Leone) au cap Lopez (Gabon), les deux seuls comptoirs français étaient Amokou, et Juda [17].] Arnous visitait Amokou 14 ans plus tard, rien n’avait vraiment changé. Ce comptoir, dit-il, seule concession française sur la Côte d’Or, avait résisté à la convoitise des Anglais grâce aux occupants français vivant en bonne intelligence avec les indigènes: le chef du comptoir, le chirurgien Mallat, remplaçant le défunt commandant, et Jean-Baptiste Miron, officier du négrier nantais Mirabeau capturé en 04-1792 par un corsaire anglais devant Amokou. Après l’accueil enthousiaste de ces deux rescapés dénués de tout, les chefs des villages voisins de Serpente et d’Amokou, vinrent le 29 nivôse dire à Arnous leur joie du retour des Français: joie décuplée quand Arnous leur fit savoir les intentions de son gouvernement de renouer ses liaisons commerciales dans le pays. Le soir même, il reçut après eux la visite «des chefs et noirs de la rivière d’Amyssan avec lesquels [il s’accorda] pour faire de l’eau».
48Si la reprise de contact donnait des raisons d’espérer, il en allait autrement du site lui-même, trouvé «dans un pitoyable état»: «une masure couverte en chaume», appelé fort français grâce à trois canons posés sur des pierres, et quatre pierriers sur des pieux, bien loin des brillants voisins anglais et hollandais, malgré de nombreux atouts: un air salubre, des fruits, du bois, et une situation topographique offrant des facilités pour commercer de la poudre d’or, des captifs et du morphil. Cela justifia de prendre des mesures pour tenter de prolonger son existence: les charpentiers de L’Impatient vinrent réparer la maison et installer un mât où hisser le pavillon français. Arnous confirma Mallat et Miron dans leur charge avant de continuer sa route le 5 pluviôse au soir (25 janv) pour le comptoir de Juda [Ouidah] – côte actuelle du Bénin.
49Le 8 pluviôse L’Impatient mouilla dans la rade de Juda, et le soir même reçut à son bord le directeur du fort français Saint-Louis de Grégoy: Pierre Talon alias Pierre Bonon, mulâtre français libre, né à Juda, uni à une Dahoméenne. Après avoir été garde-magasin du fort pendant 30 ans, puis maître d’hôtel et factotum du dernier directeur, Denyau de la Garenne, ce dernier lui avait confié la garde du fort, forcé de quitter le pays à bord du corsaire français Vengeur le 20-08-1797 pour aller rendre compte à Paris «de la détresse dans laquelle se trouvait l’établissem*nt français par suite de l’abandon où il se trouvait depuis l’an II [18]». Dans une lettre qu’il fit parvenir à Talon de la rade de Juda, Denyau lui promettait de revenir et le chargeait de l’entretien du fort, des réparations urgentes, du paiement au roi du Dahomey des coutumes et de s’assurer qu’il ne commette aucune violence contre le fort et ses 200 occupants; il priait aussi M. Abson, gouverneur du fort anglais voisin, de lui donner un état des marchandises, cauris et eau-de-vie en magasin, et de s’en servir pour l’entretien du fort [19]. La tâche du nouveau directeur se trouva d’autant plus facilitée que le premier cabecher (chef) de Juda et le roi du Dahomey le reconnurent sans difficulté comme la personne du gouvernement français habilitée à diriger le fort. Il était bien connu d’eux. Ne recevant plus de solde, le trafic d’esclaves lui aurait permis de survivre et d’entretenir le fort où il stockait une partie de ses marchandises. Arnous jugea le fort bien entretenu et bien supérieur à toutes les factoreries anglaises ou portugaises qu’il avait visitées sur la côte.
50Le 10 pluviôse (29-01) Arnous et l’un de ses lieutenants, EV Pellerin, descendirent à terre et se rendirent au fort St-Louis, accompagnés «en grande cérémonie» par les cabechers et leurs troupes. Ils y résidèrent cinq jours attendant que le roi du Dahomey qu’il avait fait prévenir de son arrivée et des intentions de la France de renouer avec lui les liaisons commerciales, voulusse bien le recevoir.
51Le 15 pluviôse (04-02) le premier cabecher revint au fort transmettre à Arnous l’invitation du roi qui se félicitait du retour de ses amis les Français.
52Le 16 pluviôse au matin (05-02) sous la conduite d’une garde du roi, Arnous, EV Pellerin, Pierre Talon, et une caravane de cinquante hommes pris au camp français, prirent le chemin d’Abomey, la résidence royale.
53Le 18 pluviôse au soir (07-02) Arnous arriva à Abomey où on lui fit fête, jusqu’au domicile qui lui était destiné.
54Le 19 pluviôse (08-02) à la pointe du jour, au ministre du commerce du roi Arnous remit une pièce de damas brochée et du vin au titre des présents d’usage, et attendit toute la journée que le roi annonce son intention de le voir… le temps que le roi se remette d’avoir abusé du «bon vin». Il le reçut en fin d’après-midi en son palais ou varangue. On but de l’anisette, le roi proposa un toast à la santé du Premier consul. Après quoi, ils palabrèrent…
55Le 20 pluviôse (09-02) pendant la seconde entrevue, le roi dicta quelques phrases à Arnous à l’attention du «grand Bonaparte» – dont il venait d’apprendre le nom, pour lui dire son admiration, et lui demander une longue liste d’objets dont il avait besoin, et qu’il paierait avec la plus grande exactitude. Il réclamait d’urgence un nouveau gouverneur français, et, en attendant, demandait à Arnous de lui laisser un blanc qui sache écrire (afin de pallier l’analphabétisme du commandant actuel) – Arnous eut beaucoup de peine, avoua-t-il, à trouver un volontaire pour ce poste d’écrivain, aussi fit-il le sacrifice de son second maître François Goupil, certes pas analphabète, mais illettré (!).
56Le roi aurait ainsi terminé: «Vous assurerez [le Premier consul] de l’amitié constante que je conserve à sa nation et dont ma conduite doit être une preuve. Vous lui direz que j’attends ses navires, que j’ai beaucoup de noirs que je leur réserve et qu’ils ne resteront pas longtemps sur rade.» Avant de prendre congé, Arnous reçut du roi à l’attention de Bonaparte un pagne rouge en guise d’amitié, et, avant d’embarquer, cinq bœufs gras pour son équipage. Le même jour à dix heures du soir, Arnous commença avec sa caravane sa marche de retour vers le fort atteint le 22 à dix heures du matin.
57Le 22 pluviôse (11-02) Arnous réunit au fort tous les administrés français et après leur avoir fait de petit* cadeaux et prêché la paix, l’espérance et la continuation de leur bonne conduite, il ajouta «que dans cette réunion d’hommes esclaves», il avait «rencontré le zèle, l’attachement à ses devoirs et la probité que l’on peut désirer dans une société d’hommes libres et policés. Ils doivent sans doute ces bonnes mœurs à ceux qui les ont dirigés jusqu’à ce jour.»
58Ayant au préalable remis un certificat à Pierre Talon pour le reconduire dans ses fonctions jusqu’à nouvelle disposition du ministre [20], Arnous quittait Juda assuré de l’importance de ce comptoir où on pouvait avec de grandes facilités traiter des noirs et du morphil contre toutes sortes de marchandises, mais particulièrement contre «les soieries, les coutils, les guingans, les mouchoirs Cholet, les coris (qui sont l’argent du pays), l’eau-de-vie de France pure, l’anisette, et les armes», dont la rareté occasionnée par l’absence des Français depuis 1792 avait incité le roi du Dahomey à faire bon accueil à son représentant officiel.
59Le 23 pluviôse (12-02) Arnous de retour sur L’Impatient, confié pendant son absence au second Dufour, apprit qu’une tornade avait mis en pièces le canot du bord; c’était fâcheux, car faute de pirogue, qu’aucun patron local ne voulait céder, il n’y avait plus aucun moyen de pouvoir communiquer le long des côtes, or la mission continuait. Le même jour, début d’après-midi, Arnous mit sous voiles et se dirigea vers Porto-Novo atteint en soirée, dans l’espoir d’y voir un bâtiment ou une pirogue. La rade déserte et les vivres juste suffisantes pour le retour, Arnous décida de ne pas y mouiller ni de poursuivre vers Ardres et de faire demi-tour vers la France via le Sénégal où le commandant Blanchot lui avait demandé de relâcher.
60Le 29 pluviôse (18-02) L’Impatient mouillait de nouveau devant le fort d’Amokou, pour remplacer les haubans de hune. Le lendemain Arnous reçut la visite à bord du capitaine du négrier marseillais les Deux-Amis à l’ancre sous le fort Cormantin: il l’incita à se rendre à Juda où une traite «prompte et facile» l’attendait. Durbec s’engagea à appareiller dès le lendemain et à rattraper un négrier de Bordeaux [Le Courrier-des-Indes], qui le précédait de quelques jours et pourrait lui fournir les cauris dont les Noirs de Juda étaient friands, selon l’avis d’Arnous.
61Le 3 ventôse (22-02), L’Impatient reprit sa route. Le 11 ventôse (02-03), il doublait le cap des Palmes, le 26 ventôse (17-03), croisait au large du banc de Sainte-Anne, au sud du cap Tagrin, et le 16 germinal (06-04), s’apprêtait à mouiller dans la rade de l’île de Gorée. Arnous s’étonnant de voir le drapeau anglais y flotter toujours, il préféra filer pour le Sénégal.
62Le 19 germinal (09-04) reconnaissant l’île et le fort Saint-Louis, L’Impatient prit mouillage devant la barre de la rivière du Sénégal. Le lendemain Arnous descendit à terre rencontrer Blanchot, qui lui dit sa difficulté de l’approvisionner pour son retour en Europe, aussi dut-il se contenter de deux mois de vivres en biscuits et d’un mois et demi en salaisons et boissons. De son côté, Arnous rendit à la Trésorerie du Sénégal la moitié des deux cents piastres qu’il en avait reçus à son départ en novembre, et laissa dans la colonie une grande partie des marchandises de traite embarquées à Rochefort et qu’il n’avait pas utilisées.
63L’Impatient resta sur la rade du Sénégal jusqu’au 30 germinal (20-04), séjour qu’Arnous mit à profit pour remettre par écrit à Blanchot tous les renseignements recueillis sur la partie de la côte d’Afrique dépendant de son autorité.
64Le 30 germinal an X (02-04-1803) L’Impatient appareillait pour la France via les Açores, avec un équipage diminué du second maître Goupil laissé à Juda, et de quatre marins, deux aides-canonniers bourgeois et deux matelots, morts à l’aller des fièvres dans la rivière de Sierre Leone. Arnous rapatriait sur ordre de Blanchot un officier et sept soldats pour cause de maladie.
65Le lieutenant de vaisseau Arnous achevait là le précis historique de son voyage à la côte d’Afrique en 1802 et 1803, le reste relatant des faits de navigation contenus dans son Journal nautique.
66Avant le départ du Sénégal, Blanchot avait rassuré Arnous, la paix d’Amiens durait toujours. La paix rompue le 18-05-1803, L’Impatient se trouvait à moins de deux semaines de mer de Rochefort: «Je fus capturé sans connaître la guerre & sur un bâtiment sans défense», se justifia, auprès de Decrès, Arnous à son retour de captivité huit ans plus tard. Le 9 prairial an XI (29-05-1803), dans la baye de Biscaye, à 150 miles ouest du phare de Cordouan, HMS Naiad, frégate anglaise de 5e rang, 36 canons, cap. James Wallis, basée à Plymouth, lui donna la chasse. Pour s’alléger et prendre de la vitesse, Arnous fit libérer ses ancres, jeter par-dessus bord plusieurs de ses canons, L’Impatient en avait 14 selon les sources françaises, 20 selon les sources anglaises, mais il dut se rendre. – LList 7 June 1803: Impatiente Corvette, from Sierra Leone to Rochelle, sent in Plymouth by the Naiade.
67Suite à un arrêté des consuls du 4 fructidor an IX (22-08-1801) [21], le 21 frimaire an X (12-12-1801), le ministre de la Marine et des Colonies adressa des instructions au LV Arnous, commandant le brick de la République L’Impatient, armé à Lorient…
68
«de transporter plusieurs individus déportés de la Guadeloupe en France par les ordres du capitaine général Lacrosse» et de les remettre à Victor Hugues, agent du gouvernement à Cayenne. Ces individus, accusés d’être des détracteurs du gouvernement consulaire, avaient été jugés dangereux pour la tranquillité de la colonie [22].
69L’Impatient appareille de Lorient tout début nivôse an X (seconde quinzaine de déc 1801), et, après une longue escale à Cadix, arrive à Cayenne le 1er germinal an X (22-03-1802) avec «douze individus de la Guadeloupe». Retour à Lorient.
70L’Impatient conduit à Plymouth n’aurait pas été utilisé par la Royal Navy, quant aux marins, ils restèrent prisonniers en Angleterre jusqu’en 1814 pour la plupart.
71Prisonnier de guerre le 30-05-1803, il est à Tavistock (Devon) mi-août 1803, puis à Lichfield (Staffordshire) le 01-01-1804 au plus tard, jusqu’à sa libération sur parole contre cinq marins anglais le 11-02-1811, débarque à Morlaix 8-03-1811; le 28 mars, Arnous sollicite auprès du ministre Decrès de pouvoir «rentrer en lice avec [ses] compétiteurs», être réincorporé dans la Marine et ainsi prendre honorablement sa revanche: du 9-03 au 19-06-1811 service militaire au port de Lorient, etc., idem au port de Toulon du 24-09-1812 au 31-08-1814; en inactivité 01-09-1814 au 31-12-1815, non pourvu de lettre de service en 1816 à Toulon, où il reste pour sa retraite comme capitaine de vaisseau honoraire. Capitaine de frégate 12-07-1808; CH L.H. 18-08-1814, chev. de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, 23-09-1814.
72
- Jean-Baptiste-Pierre Dufour, CH L.H. 05-02-1804 pour action d’éclat pendant les guerres de la Rév., prisonnier de guerre, est à Tavistock (Devon) mi-août 1803, puis à Lichfield (Staffordshire) le 01-01-1804 au plus tard, jusqu’à son retour des prisons d’Angleterre le 06-06-1814, admis à la retraite le 01-08-1816, à Lorient;
- Dominique-Marie Montfort, prisonnier de guerre jusqu’au 01-06-1814, admis à la retraite de la Marine le 01-08-1816, réside à Pont-Labbé (Fin.);
- Jacques-Nicolas Pellerin, prisonnier de guerre rentré par Brest le 14-09-1814, cessation d’activité EV 14-09-1814, mise à la retraite de la Marine le 31-07-1816, pension de 900 F/an; nommé capitaine au long cours par décision du 07-10-1817, puis syndic de la Marine, profession indiquée à son décès.
73His Majesty’ Ship “Naiad”, 2d of June 1803, captain James Wallis to the Hon. Admiral Cornwallis, commander in chief:
74
«SIR, I have the honour to inform you, that on the 29th ultimo, at eleven P. M. being in latitude 45 deg. 50 min. N. and longitude 4 deg. 40 min. W. I captured the French national corvette l’Impatient, of 20 guns, and eighty men, commanded by Citizen Hypolite Arnous, Lieutenant de Vaisseau, from Senegal to Rochefort: she is a very fine vessel, and is esteemed one of the swiftest sailers out of France; during the chase they cut away hers anchors from her bows, and threw part of their guns overboard. […] James Wallis.»
75SOURCES: The National Archives (Kew, UK): HM Treasury T70/1581 [T70: Company of Royal Adventurers of England trading with Africa and successors; detached papers 1803-1804], in Transatlantic […] Database Voyage ID 33 723. – SHDR: 3 E1 243, rôle d’équipage bureau de la corvette Impatient; A. Demerliac, La Marine de Louis XVI…, n° 541; J.-M. Roche, Dictionnaire des bâtiments de la Flotte française…, t. 1. – AN: Base Leonore, LH/55/75, Joseph Hippolyte Arnous. – AN: MMAR FF2/108 (f° 69, 70). – Naval chronicle, vol. 9, jan.-july 1803, p. 490; The London Gazette, 2 June 1803, p. 678; Notice HMS Naiad (1797) wikipedia. – SHDR: 2A3/3, corresp. préfet marit. avec min. de la Marine. – ANOM: COL E 33 (dossier Blanchot). – P. Labarthe, Voyage à la Côte de Guinée, ou Description des Côtes d’Afrique […] 1803, 310 p. – Annales Maritimes et Coloniales, vol. 2, Paris, 1817, chap. «Reconnaissance hydrographique des Côtes d’Afrique, en 1817, par ordre du Roi», p. 703, note 1. – J. Destrem, Les déportations du Consulat et de l’Empire, 1885, 526 p. – J. Monteilhet dans «Au seuil d’un Empire colonial. La “Reprise de Possessions” des Établissem*nts d’Afrique», Bulletin du Comité d’Études Historiques et Scientifiques de l’Afrique Occ. Française, Paris, 1918, p. 51. – Cl. Faure, «Deux anciens Comptoirs Français de la Côte de Guinée», 1922. – L. Jore, «Les établissem*nts français sur la côte occidentale de l’Afrique de 1758 à 1809», RFHOM, 1964, 182-183, p. 9-252. – J.-M. Deveau, L’Or et les Esclaves, histoire des forts du Ghana du XVIe au XVIIIe siècle, 2005, 330 p.; du même, «La présence française à Ouidah, principal centre négrier à destination des Antilles au xviiie siècle», 1996. – P. Villiers, «Les établissem*nts français et les débuts de la station navale française sur les côtes occidentales d’Afrique de 1783 à 1792», 1998, t. 12. – G. Le Bouëdec, «Les négociants lorientais et les compagnies. Les Arnoux du négoce du bois à la construction navale et à l’armement (1750-1794)», 1996-97, p. 133-148. – Chr. Cadiou, «Rochefort et la traite négrière au xviiie siècle», 2011, p. 20-40; du même, Rochefort, premier port arsenal négrier du royaume au XVIIIe siècle, Mémoire de Master 2, Univ. de La Rochelle, 2016-2017, 114 p.